Entre tes mains, Seigneur...
Le 4 mai 1945, Karl quitte le camp de Dachau. Il est transporté au sanatorium de Planegg, à une dizaine de kilomètres de Munich. C'est une station climatique célèbre en Bavière pour son pèlerinage à la Vierge; c'est auprès de la Sainte Vierge que Karl va mourir.
Le 5 mai, il écrit dans son journal: "5/5/1945. Marie patronne de la Bavière. Je me suis assoupi en versant des larmes de joie et de gratitude. Oh, je me sens si bien. Comme Dieu est infiniment bon! Quand la détresse est la plus grande, il vient à l'aide. Il ne veut, auparavant, que l'abandon total... Les images sombres de Dachau se détachent lentement de l'âme. Je suis un homme libre! Alléluia! Je renais! Me voici rendu à la dignité humaine. Des fleurs sur la table. Le crucifix au mur. Les soeurs m'apportent la Madone de Stefan Lochner, de la cathédrale de Cologne. Je lui recommande tout, à ma mère bien aimée. M.h.c.! Mater habebit curam (la Mère prendra soin de moi)".
La rémission qu'il aura connue à la libération sera de courte durée. Désormais, ce sera une intense souffrance jusqu'à la fin. Mais nulle plainte dans sa bouche, seulement des paroles d'offrande et de gratitude. Il offre sa souffrance à Dieu pour qu'elle participe à l'expiation des péchés. Il sait qu'il va mourir, aussi fait-il l'offrande de son sacerdoce pour contribuer au salut des hommes . Prêtre conforme au Grand Prêtre sur la Croix, expiant le péché du monde. Malgré les douleurs de plus en plus fortes, il reste l'être joyeux et ensoleillé d'autrefois, mais il montre plus encore qu'autrefois dans son visage et dans ses paroles une merveilleuse maturité intérieure et une grande profondeur.
Fin juin, il a l'immense bonheur de revoir son père et sa mère, qui sont parvenus à le rejoindre en passant difficilement à travers les décombres de l'Allemagne. Puis, le 25 juillet, en la fête de l'apôtre Saint Jacques, a lieu l'événement tant attendu par lui depuis son ordination: il peut assister à la première sainte messe depuis sept mois. Sa chambre étant trop petite, l'autel est placé dans le couloir. Trop faible pour célébrer lui-même, il prend part de toute son âme au saint sacrifice. Après la messe, épuisé, il évoque avec sa maman son pays natal dévasté, et écrit dans son journal: "Bonne nuit, Dieu éternel et saint, Mère bien-aimée, vous, tous les saints, tous les vivants et les morts, proches et lointains! Bénis aussi , ô Très Haut, mes ennemis!"
Sur ces mots de bénédiction pour ceux qui nous haïssent se referme à jamais le journal de Karl Leisner. Ouvert en 1927 par un compte rendu malhabile de réunion, il s'achève au terme d'un prodigieux itinéraire spirituel et physique, sur la parfaite mise en oeuvre d'une des dernières paroles du Crucifié. Totalement conformé au Maître, le disciple est prêt à le rejoindre.
Le soir du 8 août, une ultime joie lui est accordée: ses trois soeurs arrivent à Planegg. La joie des retrouvailles est ternie par la vue de la souffrance, mais le regard de Karl brille du reflet de l'Esprit qui l'habite.
Le 12 août au matin, le jeune prêtre entre en agonie. Le Père Pies, qui l'accompagne depuis quatre ans sur son chemin de douleurs, est auprès de lui. Il lui tend le crucifix et récite la prière des mourants. Karl est conscient; il donne à la fin la main à son ami pour lui dire adieu. Le souffle de vie diminue progressivement, puis s'arrête. Karl vient de passer dans l'au delà.
La vie de Karl se termine le 12 août 1945. Aussitôt commence sa mission sacerdotale. Au service de l'Église universelle, et plus particulièrement des prêtres, de la jeunesse, de l'Allemagne et de l'Europe.