L’arrestation, le début du martyre (1939)
Je suis parfaitement calme, et même heureux ; car je suis sûr de la pureté de ma conscience et de mes principes. Et si je n’ai pas peur de comparaître devant Dieu, qu’ai-je à craindre de la justice des hommes ?
Seigneur, je Te remercie pour tes bienfaits, que tu as déversés sur moi sans compter. Oui, Seigneur, je Te remercie pour ces jours où j’ai été gravement malade, et maintenant pour ces jours privés de liberté, en détention. Tout fait sens, Tu fais vraiment bien les choses pour moi.
Je prie du fond du coeur pour ceux qui me veulent du mal et de Te demande de leur pardonner. Mais surtout Seigneur, pardonne moi, pauvre pêcheur, mes offenses envers Toi ou mes frères. Lave moi de mes faiblesses et de mes péchés .
Rarement encore j’ai mis autant de sens et de recueillement à prier les psaumes de mon bréviaire. La grâce de Dieu m’a rempli le coeur de foi et de rayonnante reconnaissance comme jamais encore.
Jamais encore les choses célestes ne m’avaient paru si proches et si familières ! Ces jours privés de liberté apparente sont en réalité de magnifiques journées de liberté pour m’ouvrir à Dieu, qui seul est le rempart et la citadelle de la liberté. La patience est un art divin !
Extraits de lettres depuis Dachau (1941 à 1945)
« Peut-être avons-nous beaucoup de choses à redresser par notre souffrance. Penser ainsi aide plus que tout » .
« Plus d’un type bien a déjà offert son sang. D’une semence de sang sortiront beaucoup de fruits : c’est là notre espérance et notre prière. Le Règne de la jeunesse, de l’Allemagne et de Dieu grandit par le sacrifice fidèle ».
« Mis à part la perte de la liberté et le retard de mon ordination, je ne manque de rien d’essentiel ici. J’ai depuis appliqué votre « recette » (vivre en faisant entrer ce qu’il y a de chrétien dans la journée) et m’en suis bien sorti. « Avec Dieu et la Vierge Marie » a tout le temps été ma devise. Tout se laisse ainsi maîtriser dans la vie intérieure ».
« Nous sommes quotidiennement menacés par la mort. Mais jamais autrement, me semble-t-il, nous n’aurions senti la puissante main de Dieu. Particulièrement maintenant en ce mois du Rosaire, nous sommes si souvent tellement proches les uns des autres en union avec notre Mère Céleste. « La souffrance est un feu brûlant. Mais cela purifie beaucoup d’impuretés. Puissions-nous nous revoir épurés et renforcés : c’est là mon voeu le plus cher et ma prière la plus ardente pour Notre Père et Notre Mère là-haut » !
« J’ai tellement envie du sacrifice eucharistique et du sacerdoce ».
« Les grandes et saintes journées (de l’ordination) sont maintenant passées. Mais le coeur demeure encore empli de ce nouveau bonheur. Le dimanche de Gaudete, le 17 décembre, j’ai reçu ici, dans notre chapelle, la sainte ordination. Après plus de cinq années d’attente, quelle sainte heure de grâce que d’être exaucé. De tout mon coeur, après Dieu, je vous remercie, parce que votre réponse affirmative m’a permis de faire tout cela. L’évêque Gabriel [Piguet] de Clermont [-Ferrand] m’a ordonné. Son Éminence le cardinal Faulhaber avait envoyé tout le nécessaire. Reinhold Friedrichs fit office d’archidiacre. La célébration dura de 8h30 à 10h du matin. Tous mes frères étaient émus comme moi et pleins d’une joie sainte. A la St. Etienne, de 8h30 à 10h j’ai célébré ma première messe, rempli de la joie de Noël et de l’atmosphère sacrée. Je vous remercie et vous souhaite à vous et au vénérable Monsieur le recteur [Francken] une bonne nouvelle année ! Dans l’amour filial, fidèle et obéissant, Carl Leisner ».
« A la St. Etienne, de 8h30 à 10h, j’ai célébré ma première messe. Pour la première fois seul à l’autel à offrir le saint sacrifice, ici dans notre chapelle. Vous étiez tous présents en esprit avec moi. Après plus de cinq années de prière et d’attente, des heures et des jours où je fus exaucé comme un bienheureux. Que Dieu, sur l’intercession de Notre Dame, puisse nous entendre avec autant de grâce et de cette manière si particulière, je ne peux pas encore le réaliser. Depuis quinze jours, je ne peux que prier avec émotion : mon Dieu, comme Tu es grand et bon. Pour nous tous, ce furent des heures de bonheur incompréhensible et de grande et lumineuse joie, qui compensèrent pour nous bien des heures sombres. Après la consécration, j’ai été durant quelques secondes très ému et touché, sinon très calme et concentré. Des heures de la plus sacrée des joies de Noël et d’une atmosphère des plus belles et ferventes. A toi et aux camarades, la bénédiction du Tout-Puissant pour l’année à venir. Exultant et rendant grâce, je te salue, toi et tous les autres : Bonne année 1945 » !
« Le cosmos est devenu chaos, parce que l’homme s’en est remis aux démons du chaos. Et nous voulons maintenant contempler Notre Seigneur et avoir confiance dans Son éternelle Loi de vie, pour que de nouveau la paix et l’ordre reviennent parmi nous et que le droit règne parmi les enfants des hommes. Le Ressuscité nous offrira son aide, si nous prions avec patience, souffrons, offrons nos renoncements. Et ainsi reviendra autour de nous le printemps, et des sourires ensoleillés réhabiteront nos coeurs éprouvés ».
Reprise du journal à la libération (1945)
Le matin dans le calme du lit, des coups d’artillerie lourde résonnent à proximité. Des tirs de mitraillettes et de fusils. La nuit précédente déjà il y avait eu beaucoup de tirs échangés. Immense espoir ! Je chante pour rire, mais quand même sérieux « Le jour de liberté et du pain arrive ». C’est ainsi. Le drapeau blanc sur la Kommandantur. Qu’adviendra-t-il ? A 5h30 les premiers soldats américains. (Auparavant rumeurs que le camp se serait rendu). Immense jubilation dans le camp, éclats de joie jusqu’aux limites du possible. Les soldats américains sont assaillis. Les Polonais détruisent le Jourhaus, piétinent le portrait d’Hitler, détruisent les armes des SS. Une atmosphère indescriptible. En 10 minutes, les drapeaux des Nations libérées flottent. Sensationnel ! Je suis allongé gravement malade. J’entends tout cela de loin et par des récits qu’on me fait. Je tire sur moi la couverture pour pleurer 10 minutes d’une joie que je ne peux retenir. Enfin libéré de cette maudite tyrannie nazie ! A 10 jours près cela ferait 5 ans et demi passés derrière les barreaux. Je suis comblé de bonheur. Vive nos libérateurs ! L’agitation à la station des tuberculeux est grosse. Tout homme à moitié guéri court dans le camp et explique à qui mieux mieux. Les troupes dans les tours avaient hissé le drapeau blanc. Pourtant l’un sort encore son Browning. Ils seront pourtant tous abattus ! Ce n’est que justice ! La nuit une batterie américaine tire au loin au-dessus du camp. On dit que les SS veulent reconquérir le camp. Mais tout va bien ! « Deo gratias ! »
Je piquais du nez les yeux humides de larmes de joie. Oh comme je me sens bien. Comme Dieu est infiniment bon. C’est quand la misère est à son paroxysme qu’il aide. Il ne voulait avant que le sacrifice suprême. Otto [Pies] vint me voir après la messe. Nous sommes si heureux. Le Messie vint à moi le matin dans l’Eucharistie. Le soin de ces soeurs si bonnes me fait du bien. Les tristes images de Dachau commencent à s’estomper lentement dans mon esprit. Je suis un homme libre, Alléluia ! Je renais ! Je reviens à la dignité d’homme. Des fleurs sur la table. Le crucifix au mur. La soeur apporte encore l’image de la cathédrale de Cologne de Stephan Lochner de Notre Dame. Je lui recommande tout à elle, ma très sainte Mère. Mhc [Mater habebit curam]. Souvent je la salue avec des larmes dans les yeux ».
Le déjeuner est succulent. Tout est servi avec finesse et du linge blanc. Je suis tellement content. La forêt porte son regard vers moi. Un jeune bouleau. Un bosquet de hêtres verts et de grands sapins bourgeonnés depuis peu.
Je regarde, somnole, rêve, songe, efface Dachau. Comme c’est bon. Ici le corps comme l’âme peuvent se reposer. Je peux de nouveau prier correctement. Dieu parle depuis le silence, bien que je sois si flapi.
(...) De temps à autre je regarde des images tirées du livre du Dr. Corman sur l’Europe, aux éditions Atlantis de Zurich. Je suis en voyage et m’étonne, me réjouis. Juste une chose : toi pauvre Europe, reviens à ton Seigneur Jésus Christ ! (C’est en lui que se trouve la source de ce que tu portes de plus beau en toi). Reviens aux sources fraîches, à la véritable force divine. Mon Sauveur, laisse-moi être à mon niveau ton instrument, oh je t’en supplie !
L’après-midi, j’avais envie d’avoir les Heures de Schoenstatt. Le soir je reçois une lettre d’adieu d’Hermann Richarz avec justement le texte joint ! Un signe merveilleux de la Sainte Vierge ! Une confiance radicale ! Elle est la meilleure des mères !
(...) O amour et dignité retrouvés de l’homme ! Nous pauvres déportés des camps de concentration. Ils voulaient tuer notre âme. Ô Dieu, comme je te suis reconnaissant pour nous avoir sauvé dans le Royaume de l’Amour et de la dignité humaine. Oui, à Dachau l’Amour et la dignité se sont avérés tout à fait authentiques, et pourtant, comme nos moyens extérieurs étaient réduits ! Et comme étaient horribles la haine et l’insensibilité qui nous entouraient contre notre volonté ! Seigneur, fait que je t’aime toujours plus fort ! L’Amour et l’Expiation ! Je te remercie pour tout, pardonne-moi mes faiblesses !
Les derniers mots écrits de sa main
Trop fatigué pour manger, de telle sorte que Maman m’a nourri le midi avec quelques cuillerées de bouillie. L’après-midi de 2 à 5h nous avons parlé avec Maman de notre belle région détruite et de ses habitants. Trop long ! Maintenant je dois dormir, il est 9h 20. Bonne nuit, mon Bon Dieu, Éternel, Dieu Saint, ma chère Mère Très Aimée, vous tous chers Saints, vous tous, êtres chers, vivants ou morts, proches ou lointains ! Bénis aussi, Très-Haut, mes ennemis !