Le choix si difficile de la vocation (1937)
« Si je pose mon oreille la plus intime
Au mur de mon âme
Si je m’approche tout près de la porte
Qui s’ouvre en grand sur le coeur,
Et si j’épie et regarde à l’intérieur
Et si je me demande, ce qu’il peut bien y avoir,
Voilà que Tu viens à ma rencontre,
Sur ses chemins silencieux.
Je dois toujours et encore T’offrir
Une pensée indiciblement profonde.
Pour toi s’est ouverte la lourde serrure,
Qui était posée à cet effet devant mon âme.
A toi j’ai ouvert les plus profondes sources,
Pour toi j’ai fait résonner les sonnettes les plus secrètes.
Et toujours et encore j’admire Ton silence,
Que Tu te montres toujours si bonne et maternelle.
C’est pourquoi je veux me tenir devant Toi tel un chevalier,
Demeurer ferme dans l’armure de la pureté.
Devant Toi, Marie ! Vierge et Mère ! »
Toute la beauté de la vie de famille, d’engendrer et d’avoir des enfants, tout cela se rapproche de moi lorsque je réfléchis la nuit. Que faire ? Mais le bel héroïsme du sacerdoce s’illumine aussi pour moi !
Le « Fiat » définitif (1938)
Du samedi soir jusqu’au jeudi matin, j’ai passé un séjour plein de sainte tranquillité et de joie, de renoncement et de sacrifice définitif. Dieu m’a fait don de Sa grâce toute-puissante. Par la prière, par le chant, par un douloureux combat de mon âme pour s’affranchir de ses désirs les plus profonds, en des heures habitées par l’Esprit Saint, se produisit le grandiose, le bouleversant événement (puis-je réellement affirmer qu’il s’est produit, étant donnée l’incertitude de toute chose humaine ?) : Oui ! J’ai prononcé l’ultime fiat, soumis et abandonné à la volonté de Dieu qui désire me conduire à Son saint sacerdoce. Je ne parviens pas à le décrire !
J’avais la ferme intention de me confesser dès le dimanche 24, et de demander au P. Esch de m’accorder un soir une discussion approfondie comme Jésus lorsqu’il reçut Nicodème. Comme ce fut beau et simple ce soir-là. Après un bref entretien, j’écoutai la parole du prêtre, cette parole si bonne et si limpide après l’ultime décision. L’Esprit de Dieu parlait en nous ... comme c’était beau. Profondément saisi, je m’agenouillai ensuite dans la chapelle éclairée par la seule lumière du Saint-Sacrement, et remerciai le Seigneur, le saluant comme mon Maître à jamais dans le sacerdoce. J’ai choisi l’ultime sacrifice, le sacrifice inconditionnel. Quelle chose incroyable : être prêt au témoignage sous toutes ses formes pour Jésus Christ, que jadis, dans ma jeunesse, j’aimais passionnément ... comme je l’ai écrit une fois, au coeur d’un violent combat, pendant ma folle adolescence (…) Jésus Christ qui, je l’espère, est devenu et restera mon seul grand amour.
« Fiat voluntas tua ! Adveniat regnum tuum ! » Jésus Christ, mon bien-aimé, s’offrir pour Toi est réellement le plus grand héroïsme qui existe sur cette terre. Et quand bien même personne autour de moi ne comprendrait cela, quand bien même mon peuple, que j’aime avec passion, ne me comprendrait pas ... je ne peux faire autrement ! Que le Seigneur m’assiste !
Et tard le soir, j’écrivis encore une lettre à celle qui, aux jours de violence et de révolte, aux jours d’orage et de tempête, m’avait comblé de son aide, de sa prière et de son ultime amour plein de compréhension ! Dois-je la retranscrire ici ? Non, je ne le peux pas, cela est trop sacré pour tomber entre des mains indésirables !
Et pourtant, la lutte continue (1938)
Le soir, pendant l’étude, j’ai été envahi subitement par une puissante et douloureuse nostalgie. Oh, puis-je sans danger devenir prêtre ? Avec ce coeur si rebelle, si sombre et tourmenté ? Et pourtant, c’est ainsi. Le Seigneur veut que tu t’attaches à Lui, précisément à cause de ces épreuves infiniment douloureuses et tourmentées. « Non vos me eligistis, sed ego vos, dicit Dominus ». [Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis, dit le Seigneur]. Oh, si seulement il n’y avait pas ce renoncement à « l’ amor terrenis » [l’amour terrestre], et surtout ce renoncement à la sexualité, aux enfants. C’est si merveilleux, de pouvoir être presque un créateur. Pourquoi ne faisons-nous pas comme les Uniates ?
(…) Je parle à Papa de mon projet et je rencontre son coeur de père, si vaste et bon. Il comprend la vie. Il est devenu sage. Je peux me confier à lui sans retenue. Sur le chemin du retour, mon coeur me faisait mal. Que devais-je faire à présent ? Cette question me transperce le coeur. J’ai besoin d’une semaine de silence et de calme pour y réfléchir. Toute cette nostalgie douloureuse, toute cette souffrance reviennent avec force. Je chemine en solitaire en quête de repos, pour entendre l’appel de Dieu. Je prie et attends le Seigneur. L’inquiétude et l’incertitude de jadis me rongent le coeur. Je voudrais forcer le destin, hâter la décision. Mais l’homme propose, Dieu dispose. Mais j’ai senti qu’il en allait du Christ et de sa grâce comme des grandes choses de la Nature et de l’Histoire : on ne peut pas les évacuer ou les éluder tout simplement. Le divin se présente à nous, impérieux, commandant et ordonnant dans la nature comme dans la grâce. Et nous construisons notre vie en fonction des lois de ces deux royaumes divins. Vivre avec le Christ, c’est possible. Il faut être attentif à l’appel de sa grâce. Lui promettre de le suivre en croyant en lui et à son appel (…) c’est cela qui rend heureux, qui remplit une vie. Mais cela ne va pas sans sacrifices, sans un renoncement complet et radical. C’est pourquoi je dis oui à l’appel du Christ et à son exigence. Je veux toujours recommander cette humanité que j’aime à Ses voies, à Sa grâce et à Sa bonté. Tel est mon devoir de reconnaissance, le devoir de ma vie. Je ne renonce pas par lâcheté, par dépit de ne pouvoir faire autre chose, mais parce que je voudrais obéir totalement à l’appel de Dieu. (...) Je voudrais être Ton prêtre, le messager de Ta Bonne Nouvelle, celui qui a reçu Ton onction, parce que je crois entendre Ton appel. Je veux être là où Tu veux que je sois. Éclaire-moi, donne-moi Ta force !
L’ultime décision (1938)
Mon rayon de soleil d’aujourd’hui, ce furent les voeux d’Elisabeth. Ils m’ont touché au plus profond de mon coeur. Il me semble que le pur sacrifice de cette pieuse jeune fille me rend docile, contraint mon tempérament si turbulent et rebelle. Je crois y reconnaître l’action adorable de la grâce. L’amour, la souffrance, le sacrifice. Elle est comme l’étoile du matin de la grâce divine et de la Providence dans ma vie. Il me semble que son sacrifice silencieux, son sacrifice sublime et sa prière vont m’ouvrir le ciel du sanctuaire, et me conduire à l’autel. Je voudrais verser des larmes de sainte joie. Seigneur, je Te remercie d’avoir mis sur mon chemin cette jeune fille si merveilleusement pieuse et délicate. Cette jeune fille si forte, cette pure enfant de la grâce, ce précieux trésor de l’humanité, le plus précieux que j’aie jamais rencontré. C’est à la prière de ma chère mère, et c’est à la prière d’Elisabeth, à son sacrifice silencieux, acheté peut-être au prix de la souffrance et des larmes, que je dois d’être ce que je suis aujourd’hui. Elle m’a été envoyée par la Mère Céleste. Je rends grâce ! Oh Dieu si bon, remplis-moi d’égards et de reconnaissance ! Par elle j’ai effleuré l’éternel féminin. Je ne peux que m’abîmer dans le silence. Voici le secret de l’âme.
Une question m’angoisse : pourrai-je toute ma vie de prêtre rester fidèle à mon union sponsale avec le Christ ? Cela nécessite un examen approfondi, je dois m’y préparer intensément, en toute intériorité, pendant ce temps de fiançailles avec le Christ, ce printemps sacré du séminaire. La sainte alliance de vie sera à l’image des fiançailles.
Jette-toi donc dans les bras du Christ, abandonne-toi à Lui dans un puissant élan de foi et de confiance, d’amour et d’espoir, dans la contemplation de la prière et de la vie intérieure. Comme une jeune fiancée, rayonnante de beauté, qui offre tout le charme de son amour, toute sa brûlante ardeur amoureuse à son bien-aimé dans un abandon sans réserve, offre-toi dans l’abandon le plus ardent de ton âme. (...)
Puis abandonne-toi à la grâce, tu es appelé. Le Seigneur t’a choisi entre mille. Ce n’est pas une illusion des sens, mais une soumission obéissante aux voies de Dieu, obtenue au prix de rudes combats.
Et puis : combats, travaille, prie, souffre, sacrifie-toi ; des déceptions sur toi et sur beaucoup d’autres, tu devras et pourras en porter le poids toute ta vie. Car c’est une grâce ; par elle il t’est donné de prendre sur toi le poids de tes propres fautes, de porter les péchés des autres et de les expier. Et si tu t’y prépares en toute pureté et humilité, si à chaque instant tu te tiens prêt à répondre à la tâche à laquelle Dieu t’appelle, si tu t’efforces sans cesse d’entendre Son appel au moment présent, alors Dieu t’offrira sans cesse Sa consolation, Sa force régénératrice. Tu peux en être certain dans la foi.
Lance-toi, aie cette foi qui transporte les montagnes et que le Seigneur exige de toi, crois à ta vocation !
Alors, tous les doutes, les sentiments d’infériorité disparaîtront ; ils ne doivent pas s’insinuer comme des idées fixes ni devenir des complexes. Car alors, tu deviendrais un prêtre malheureux. Libère-toi de cette crispation sur ton moi, car tu es appelé à une union sponsale au Christ, tu es appelé au sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech, pour l’éternité ! ».
Quelle agitation, quels tourments dans mon âme ! La violente ardeur de la nature me ferait presque exploser. Le sang bout dans mes veines. Pourrai-je dompter ces ardeurs de la nature, les asservir au but suprême, à l’humble service de la grâce ? Cette question m’obsède et m’angoisse, elle briserait mon coeur s’il n’était aussi fort.
J’ai beau apprécier le célibat sous de nombreux aspects, la forme qu’il revêt aujourd’hui et la façon dont il est pratiqué me semblent douteuses. Je dois me frayer péniblement un chemin à travers toutes mes interrogations. Mon ultime, mon désir le plus profond et le plus intime, c’est la sainteté, la connaissance de Dieu, ou plutôt l’expérience de Dieu (la théologie), mais quant à savoir si je suis fait pour le célibat sacerdotal, j’ai encore honnêtement de sérieux doutes. J’y parviendrai certainement avec la grâce de Dieu, s’il le fallait, mais je crains alors de devenir un vieux garçon complètement desséché, et de ne pas porter de fruits. J’ai besoin de vivre, d’aimer, de souffrir. Je dois pouvoir aimer d’une façon toute personnelle. (…) Tout cela te sera donné si tu es prêtre ! Seulement cela exige une discipline et une grandeur d’âme qui doivent être éduquées, qui doivent être conquises de haute lutte. Et ton devoir aujourd’hui, c’est de travailler à cela, d’en poser les fondations. Tu n’as pas besoin de perdre ta personnalité et tu ne dois pas la perdre, mais tu l’orienteras vers la sublime grandeur et vers les hauteurs suprêmes. Oh, comme c’est difficile, comme ce sera … difficile !
(...) Nous célébrons ce samedi la messe de Notre-Dame. Mon âme est subitement envahie d’une confiance merveilleuse. La lumière se fait en moi : fini le malaise moral, finis les maudits complexes d’infériorité. Qui ose a déjà à moitié gagné ! Avant la consécration, je confie, une fois de plus, ma chère Elisabeth au Sauveur et à la Vierge Marie. Oui, c’est la seule solution : Le Seigneur nous veut tous deux dans son royaume de grâce. Il nous conduit si bien et si sûrement. Tel est vraiment l’appel qu’Il nous adresse, et tu dois choisir avec toute la force qu’exige une décision prise pour la vie. Oui, la Mère de Dieu te protégera dans les dangers terribles qui guettent la vie d’un prêtre. Et cette vie dangereuse, c’est cela qui est grand et qui apporte la vraie grandeur. Je crois et j’ai confiance dans les voies de Dieu et de la Vierge Marie. « Avanti con tutta forza d’un giovane « ! [En avant avec toute la force de la jeunesse !] «Alea jacta est » ! « Et Rubicon transgressus est »! [Et le Rubicon est franchi] « Je puis m’avancer vers l’autel de Dieu, je le dois et le veux, « ad Deum qui laetificat juventutem meam « ! [vers le Dieu qui réjouit ma jeunesse] A présent, plus d’hésitation ! En avant ! La Providence de Dieu est incompréhensible, on ne découvre sa force et sa vérité qu’en avançant dans une foi confiante. Avec Dieu et la Vierge Marie !
Le rôle de la Providence (1938)
Comme elle est mystérieuse, la façon dont Tu me conduis, par des chemins si divers et uniques à la fois. (...) J’ai compris l’alternative : être un saint ou une canaille ! (…) Satan et le Christ s’affrontaient en moi. Maintes fois, je me sentais tiré vers le bas, mais toujours et toujours, le Seigneur m’arrachait aux ténèbres et me ramenait dans sa lumière... (...)
Seigneur, où veux-tu que j’aille ? J’étouffe, je m’embourbe toujours plus profondément dans les affres de ma décision personnelle ! Mon coeur souffre et souffre. Je tombe à genoux aux pieds du Seigneur et l’implore. Il conduit de nouveau à sa manière particulière. Je reprends confiance et repars le coeur plus léger. Mon Dieu, que veux-Tu de moi ? Des jours de bonheur, auxquels succèdent encore des moments de doute aigu. Je me méfie, tout recommence ; et puis, ouf ! tout se dénoue. Je trouve ce que je cherchais profondément : son amitié .